La mutante
Avec sa Moto 6.5, Aprilia frappe en 1995 un grand coup. Non pas du point de vue des ventes mais de celui de l’image et, au-delà, de l’évolution de la marque sur le marché européen.
Pour la première fois dans l’histoire de la moto, les techniciens se plient aux exigences d’un designer, qui plus est d’un designer réputé puisqu’il s’agit du français Philippe Stark.
Rendu célèbre par ses créations en série d’objets de consommation courante, l’homme a depuis assis sa réputation sur des créations architecturales ou encore de mobiliers urbains auxquelles il imprime son image, méticuleusement médiatisée.
C’est cette image qu’Aprilia veut insuffler dans l’univers de la moto à travers la 6.5.
Philippe Stark imagine en l’occurrence une monture aux lignes aussi pures que fluides, soulignées par la courbure particulière du pot d’échappement qui épouse le simple berceau dédoublé du cadre.
Dans cet ensemble visuellement identifiable au premier regard, les techniciens ont logé le nouveau bloc Rotax à refroidissement liquide qui équipe déjà la Pegaso, mais retravaillé dans le sens de la souplesse.
A l’usage, la 6.5 fait preuve d’une excellente agilité et d’une belle facilité de conduite. On relève quelques louvoiements de l’arrière train au-dessus de 130 km/h mais le vrai terrain d’évolution de l’engin est la ville ; ce milieu urbain dans lequel se confrontent les identités les plus diverses dont Aprilia veut se mêler au concert.
La décennie quatre-vingt-dix est une époque de mutation. Entre recentrage matérialiste et recentrage rigoriste, le tissu social occidental – et à fortiori européen – renoue sous la pression de la précarisation du statut social jadis adossé au travail, avec les vielles racines tribales.
Dans ce contexte, l’image est un signe de reconnaissance or celle de la 6.5 incarne au cœur de cette mutation culturelle l’essence même de la moto.
Le pari d’Aprilia est audacieux mais il conditionne son positionnement sur un marché européen dans lequel le constructeur italien ne veut pas être qu’un constructeur de plus et qui plus est, parmi tant d’autres.
A l’aube de la décennie quatre-vingt-dix, Aprilia domine en l’occurrence le marché italien mais ne représente, essentiellement au travers de ses petites cylindrées, que 4% d’un marché européen sur lequel il veut franchir la barre des 10% à moyen terme.
Pour cela, il mise dans un premier temps - dès 1990 - sur sa nouvelle 600 Pegaso dans l’attente du nouveau bloc Rotax 650 à refroidissement liquide encore au stade de la mise au point.
C’est ce moteur qui équipera par la suite l’ensemble des gros monos de la marque tandis qu’elle poursuit en coulisse son ascension du marché européen par l’étude, toujours avec Rotax, d’un gros V-Twin. Ce dernier consacrera avec la RSV 1000 l’entrée fracassante de l’Italien sur le marché des grosses cylindrées en 2000. La même année, la 6.5 disparaît du catalogue. La mutation culturelle dont elle était l’incarnation est consommée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire